03-I
L'alimentation
Sans aller jusqu'à présumer que c'est le changement d'alimentation qui a poussé l'homme moderne vers le tabac, nous sommes néanmoins en mesure d'affirmer que l'alimentation exerce une action sensible sur les envies de fumer.
Patate-quiz : quel est le point commun entre les aubergines, les tomates, les pommes de terre, les piments et les choux-fleurs, outre que ça pousse dans le sol ?
(Un rappel figure au chapitre : Comment arrêter de fumer : Une hygiène de vie saine : Une bonne alimentation.)
Les engrenages
Dans tous les pays les consommations de sucre, de café, d'alcool et de cigarettes augmentent simultanément : ce n'est pas le fruit du hasard.
Une étude1 a montré que vingt pour cent des fumeurs buvaient plus de six tasses de café par jour, contre huit pour cent des non-fumeurs.
Une autre étude indique que « Les fumeurs, hommes et femmes, consommaient moins de légumes et de fruits, mais plus d'alcool et de café que les personnes qui n'avaient jamais fumé2. »
Ces données illustrent le phénomène d'entraînement qui existe entre certaines substances alimentaires et le tabac.
C'est le cas typique de la cigarette après un repas, d'ailleurs l'une des plus malaisées à quitter : on vient de prendre un bon dessert (sucre), un café sucré (sucre plus café), un petit digestif (sucre plus alcool), tout cela appelle : "une bonne petite cigarette" ou "un bon cigare"...
(Le témoignage d'un de nos jeunes lecteurs illustre d'ailleurs tout à fait ce phénomène d'entraînement mutuel qui existe entre les différents excitants. Retranscription de cette narration au cahier : Témoignages et commentaires de nos lecteurs : M. Z.)
Accusés, levez-vous
Les substances alimentaires que nous prenons à partie dans ce chapitre parce qu'elles donnent en fait envie de fumer sont : le sucre ; les excitants du système nerveux : alcool, café, thé, coca, cacao, chocolat ; les condiments : poivre, moutarde, épices, etc. ; et aussi, dans une moindre mesure, les fromages fermentés, les tomates, les pommes de terre (elles renferment de la nicotine) et les aubergines.
Des explications ?
Le rôle des alcaloïdes
Les excitants du système nerveux mentionnés ci-dessus ont en fait un dénominateur commun avec le tabac. Le café, le thé, la coca et le cacao contiennent de la caféine, qui est un alcaloïde ; le cacao, le thé et le chocolat renferment de la théobromine, qui est un alcaloïde ; et certaines épices contiennent aussi des alcaloïdes. Or la nicotine, tout comme la cocaïne, est un alcaloïde.
Faut-il le rappeler, les alcaloïdes (autrefois utilisés comme insecticides !) ont une puissante action physiologique : ils excitent, puis paralysent les cellules du cerveau. Celles-ci ont alors besoin d'une nouvelle dose pour être stimulées et déparalysées, avant de se retrouver paralysées à nouveau. De là vient la dépendance à ces substances.
(Le mécanisme de la dépendance est analysé au chapitre : Comment arrêter de fumer : La nicotine : Son action.)
De ce fait il devient évident que si l'on arrête de prendre une de ces substances (le tabac par exemple) sans les arrêter toutes, on continue de ressentir les effets du manque. On continue donc d'avoir envie de fumer.
La présence d'alcaloïdes dans ces substances n'est pas la seule explication : ces excitants, le tabac y compris, font aussi monter le taux de sucre dans le sang... et le sucre crée, lui aussi, des symptômes de manque.
Des explications ?
Petite histoire du sucre
De 1840 à 1974 la consommation de sucre en Europe est passée de sept grammes à cent huit grammes par jour et par personne. Dans la même période la consommation des cigarettes, rien que pour la France, est passée de moins de un million à quatre vingt deux milliards par an.
Simple coïncidence ?
− oh que non !
En fait notre organisme n'est pas adapté pour amortir l'absorption de sucre pur sans quelques conséquences. Et cela parce que le sucre n'est apparu que très récemment dans l'histoire humaine.
Originaire de l'Inde et de la Chine du Sud la canne à sucre n'a abordé, grâce aux Perses, la Méditerranée que vers le VIe siècle − ce qui est très récent dans l'histoire du corps humain. Celui-ci en effet n'en a pas tant besoin et élimine du sang systématiquement et rapidement toute trace de sucre blanc (appelé aussi sucre rapide) que nous avalons − jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'un gramme par litre de sang.
Et c'est à cause de la rapidité de cette élimination que nous ressentons des effets semblables au manque de tabac (fébrilité, faim, angoisse, nervosité, maux de tête, etc.) ou encore semblables au diabète. Ce n'est pas que nous ayons le diabète (taux de sucre trop bas dans le sang) mais le taux chute trop vite. « Plus la baisse est rapide, plus vous en ressentez les symptômes3. »
Cela fait le même effet qu'à bord d'un avion qui descend trop vite.
Résultat : le sucre est une des causes des symptômes du manque, et en manger donne envie de fumer, et inversement, fumer donne envie de sucre.
« Les envies de sucre peuvent être liées au manque de nicotine lorsque l'on arrête de fumer4. »
(Ce sujet du sucre est donc abordé au chapitre : Comment arrêter de fumer : Contrer les effets du manque : La faim.)
(Nous observerons aussi l'interaction du sucre et du stress au chapitre : Comment arrêter de fumer : Le stress : Les poussées d'adrénaline.)
On ne goûte du sucre que depuis le VIe siècle.
Encore des explications ?
D'une part donc, sucrer fait fumer.
D'autre part le tabac, les excitants et les condiments, nous l'avons compris, contiennent tous des alcaloïdes qui suscitent aussi les envies de fumer. Mais ce qu'il faut savoir également c'est que tous ces produits − y compris le tabac − augmentent de surcroît le taux de sucre dans votre sang, artificiellement, sans que l'on ait avalé de denrée sucrée.
Cela explique irrévocablement l'interdépendance étroite qu'il y a entre le tabac, le sucre, les excitants du système nerveux et l'envie de fumer.
Dernier point : les effets de ces aliments sur les envies de fumer ne « s'additionnent pas, mais se multiplient5. »
Cela signifie qu'il suffit d'ajouter à son ordinaire un seul des ingrédients cités plus haut en gras, pour que les envies de fumer accusent une hausse prépondérante.
À l'inverse, qu'un seul soit ôté de ses habitudes alimentaires, et les envies pourront déjà chuter de manière appréciable...
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1 Étude de Friedmann, USA, 1979.
2 ScienceDirect : Dietary habits of smokers, people who never smoked, and exsmokers, The American Journal of Clinical Nutrition (Habitudes alimentaires des fumeurs, des personnes qui n'ont jamais fumé et des ex-fumeurs, Le journal américain de nutrition clinique) Morabia A. Wynder EL. Volume 52, Issue 5, November 1990, Pages 933-937, mis en ligne le 2 mars 2023. https://www.sciencedirect.com
3 Docteur Patrick Kingsley : Stop Smoking, Optima, 14 août 1995.
4 Tabac-info-service : Accueil / Questions-réponses / 04-Questions mises en ligne / Ingestion de sucre et l'envie de fumer, 30 mars 2023. https://www.tabac-info-service.fr
5 Bruno Comby : Tabac, libérez-vous ! éditions J'ai lu, 1992.